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© Ministère du Logement

Prospective

Valérie Létard, ministre du Logement : "La mobilisation de l'État est plus que jamais nécessaire"

Nous avons échangé avec la ministre chargée du Logement, nommée en octobre 2024. Valérie Létard revient sur son engagement auprès des quartiers prioritaires et ses ambitions pour les années à venir.

Vu dans en villes, le mag de l'anru

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Magazine En Villes : Quel regard portez-vous sur les quartiers populaires ?

Valérie Létard : Ces quartiers sont avant tout des lieux de vie, de culture et de solidarité, où vivent des millions de Français qui aspirent à des conditions de vie tout simplement normales et des opportunités à la hauteur de leurs talents et de leur potentiel. Au cours des premières semaines de mon engagement ministériel, j’ai rencontré les associations d’élus, les professionnels et les acteurs de terrain pour entendre leurs messages. Je me suis rendue sur un territoire emblématique de la politique de la ville, à Chanteloup-les-Vignes, à la rencontre de la maire qui a commencé une démarche de cité éducative exemplaire, en articulation étroite avec le préfet et l’Éducation nationale, pour adapter le projet éducatif aux enjeux de son territoire, mais je suis également allée à Lille et à Corbeil-Essonnes. Partout, j’entends une forte attente et le désir de continuer à apporter des réponses. Les habitants de ces quartiers doivent pouvoir vivre en toute sécurité et avoir accès aux services publics, à l’éducation, à la formation professionnelle, à l’emploi, à la santé, comme tous les Français, sachant que pour parvenir à cela il faut mailler les quartiers de structures de proximité qui doivent être autant de relais auprès des habitants. Je pense aux maisons France services, aux centres sociaux, aux missions locales, aux associations locales et aux espaces de proximité des communes et intercommunalités qui sont en première ligne.

Quels sont aujourd'hui selon vous les enjeux prioritaires pour ces territoires ? Quelles réponses y apporter ?

La situation de décrochage de ces quartiers reste réelle par rapport aux quartiers avoisinants. Ainsi, le taux de pauvreté en QPV reste aujourd’hui de 44,3 %, soit trois fois supérieur à la moyenne métropolitaine. Un ménage sur six résidant dans un QPV est une famille monoparentale, soit près de deux fois plus que dans les agglomérations où sont situés ces QPV, avec dans neuf cas sur dix une femme à leur tête. Dans le domaine de l’éducation et de la formation, 26 % des jeunes des quartiers prioritaires sortent du système éducatif sans diplôme, soit deux fois plus que l’ensemble de leur génération. Cela a poussé les pouvoirs publics et la société civile à faire plus pour ces quartiers (une des grandes avancées étant, par exemple, le dédoublement des classes de CP, CE1 et grande section) et à innover depuis des années. Ces quartiers sont de ce fait souvent précurseurs de ce qui peut être développé ailleurs en France. Ainsi, dans le domaine du sport, les coachs d’insertion par le sport permettent de travailler l’accès à l’emploi par le sport. Dans le domaine du soin, des centres de santé sont ouverts, regroupant des professionnels de santé proposant de l’accompagnement psychosocial et mobilisant des acteurs de « l’aller vers » en direction des publics les plus éloignés du système de soins. La question de l’égalité entre les femmes et les hommes doit y être travaillée de façon prioritaire, notamment pour éviter l’autocensure des jeunes filles à aller vers des études supérieures, et pour éviter que la fréquentation des espaces publics leur soit parfois plus difficile. Tous ces enjeux sont traités dans ce que l’on appelle « la politique de la ville », une politique intelligente, interministérielle, mobilisant l’État sous toutes ses composantes (services préfectoraux, France Travail, CPAM, ARS, CAF…) aux côtés des collectivités locales, des entreprises et de la société civile. Une politique intelligente puisqu’elle vise à avoir sur un territoire donné une vision à 360 degrés de toutes les actions à mener pour améliorer la vie des habitants. 

En 2025, l'ambition des contrats Quartiers 2030 va être renforcée. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Afin de donner une nouvelle ambition aux contrats Quartiers 2030, qui formalisent les objectifs de cette politique et qui ont été signés en métropole au cours de l’année 2024, je proposerai au Premier ministre de réunir un Comité interministériel des villes (CIV) au début de l’année 2025 de sorte que chaque ministère puisse s’engager autour d’objectifs très concrets et mesurables, notamment autour des enjeux d’éducation, d’emploi, de santé et de transition écologique. La situation des quartiers prioritaires ne changera fondamentalement que si l’on parvient à mobiliser encore davantage et très concrètement des dispositifs de tous les acteurs publics. La mobilisation de l’État dans ces quartiers est plus que jamais nécessaire à la garantie de notre pacte républicain.

La pertinence du NPNRU n’est pas seulement de traiter les problématiques de logement, c’est également d’examiner les questions plus globales de réaménagement des quartiers dans leur ensemble

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1998 Adjointe au maire de Valenciennes en charge de la politique de la ville 
2007-2009 Secrétaire d’État en charge des solidarités 
2001-2021 Sénatrice du Nord 
2008-2016 Présidente de la communauté d’agglomération de Valencienne Métropole 
2017-2023 Vice-présidente du Sénat 
Depuis 2024 Ministre du Logement et de la Rénovation urbaine en charge de la politique de la ville et députée du Nord

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Le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU) porté par l’ANRU entre dans sa phase la plus concrète, avec des opérations livrées de plus en plus nombreuses. Le renouvellement urbain peut-il être une réponse à la crise du logement ?

Dans le contexte de crise que connaît notre pays, le logement est une priorité de nos concitoyens, ainsi que l’a exprimé le Premier ministre. Cette priorité est plus forte encore pour les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville qui bénéficient parfois d’un cadre de vie dégradé, voire très dégradé. Mobiliser toutes les énergies pour soutenir la production, améliorer le parc existant et répondre à la demande sont des objectifs essentiels pour le secteur du logement. Les projets NPNRU, financés par l’État, Action Logement, les bailleurs et les collectivités locales ainsi que la Caisse des Dépôts (CDC), accompagnent la transformation de 448 quartiers et concernent près de 3 millions de personnes. Ils permettent de réhabiliter, de construire des logements sociaux, et également de construire pour de l’accession à la propriété, dans une recherche de mixité sociale et dans le cadre de politiques locales de l’habitat des collectivités. Toutefois, la pertinence du NPNRU n’est pas seulement de traiter les problématiques de logement, c’est également d’examiner les questions plus globales de réaménagement des quartiers dans leur ensemble : la rénovation et la redéfinition des espaces publics, la rénovation ou la construction de nouveaux équipements (pôles éducatifs, équipements sportifs…), l’implantation d’associations en pied d’immeuble… Le logement n’a d’intérêt que dans un quartier où il est agréable de vivre. Le renouvellement urbain permet aussi de réinventer la ville, de faire du beau dans les quartiers ! Pour construire la ville dont nous avons besoin, dense, durable, inclusive.

(...) Le renouvellement urbain devra être
davantage articulé avec les politiques sociales de
la politique de la ville, par exemple en renforçant la
mobilisation des acteurs publics

Quels sont les enjeux du renouvellement urbain de demain ? En quoi la politique de la ville de demain prend en compte l’adaptation au changement climatique ?

Les quartiers prioritaires sont particulièrement touchés par le changement climatique et les nuisances environnementales : au travers de la pollution de l’air, du sol et sonore, de l’effet d’îlot de chaleur urbain, des logements énergivores « passoires » et « bouilloires » thermiques. En 2022, 70 % des habitants de QPV indiquent avoir été confrontés à des températures trop élevées pendant l’été, contre 56 % au niveau national. Ce sont ces mêmes habitants qui, du fait d’un pouvoir d’achat réduit, sont les plus sensibles aux augmentations des factures énergétiques. L’adaptation des quartiers est désormais une question de justice sociale. Dans ce contexte, la politique de la ville de demain doit impérativement prendre en compte l’adaptation au changement climatique. Cela se traduit par des actions concrètes, telles que la promotion d’aménagements urbains durables, l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments et la création d’espaces verts qui contribuent à la biodiversité et à la résilience des quartiers face aux aléas climatiques, et tout le développement des mobilités douces. Nous avons la responsabilité de construire des quartiers qui ne sont pas seulement adaptés à leurs habitants, mais qui le sont également à leur environnement. Toutefois, je veux rappeler que la transformation urbaine de ces quartiers ne sera pas achevée au terme du programme en cours, et la solidarité nationale devra pouvoir continuer à s’exercer en leur direction. La lutte contre la ségrégation territoriale, la résolution des désordres urbains persistants dans les quartiers, l’amélioration du cadre de vie et de la sûreté restent des enjeux du renouvellement urbain de demain. Pour garantir que ces transformations répondent aux besoins réels des populations, et c’est également l’enjeu pour l’avenir, il est essentiel d’associer les habitants à chaque étape des projets. Les maisons de projet et les conseils citoyens permettent une concertation active, favorisant ainsi l’émergence de solutions adaptées aux enjeux locaux. En intégrant les voix des citoyens, nous veillons à ce que le renouvellement urbain soit une coconstruction, respectueuse des attentes et des besoins de chacun. Enfin, le renouvellement urbain devra être davantage articulé avec les politiques sociales de la politique de la ville, par exemple en renforçant la mobilisation des acteurs publics : Éducation nationale, acteurs de la sûreté, CAF, ARS, France Travail, notamment.