Selon l’INSEE, 42 % des 5,4 millions d’habitants des quelque 1 500 quartiers prioritaires de la politique de la ville vivent sous le seuil de pauvreté (60 % du niveau de vie médian de la population nationale), soit 3 fois la moyenne nationale, et le taux de chômage y est toujours 2,5 fois plus élevé que dans le reste du pays. De plus, l’écart de revenu moyen entre ces territoires défavorisés et le reste de la France n’a cessé de se creuser depuis 2004.
Toutefois, les politiques publiques nationales conduites depuis plusieurs décennies contribuent à améliorer la situation économique et sociale des habitants de ces quartiers, année après année : diminution du taux de chômage, dynamisme de la création d’entreprises, rattrapage des niveaux de diplôme, meilleure insertion professionnelle pour les jeunes, etc.
Fédérer les acteurs (...) s'ouvrir à de nouveaux modes d'intervention
Avec le NPNRU, le Fonds de co-investissement et les actions du PIA confiées à l’Agence, l’ANRU s’attache à accélérer ces mutations en fédérant un grand nombre d’acteurs – services communaux, bailleurs, entreprises, habitants eux-mêmes, sans oublier les indispensables structures de l’ESS – autour de stratégies de développement économique adossées au renouvellement urbain et conjuguées aux actions en matière de réussite éducative, d’emploi et de sécurité portées par l’ANCT. Cette volonté partagée se traduit notamment dans la création transitoire ou pérenne de nombreux lieux hybrides, à la fois sites productifs, lieux de convivialité et espaces associatifs, à l’instar de la Duchesse à Lyon ou del’Épopée à Marseille.
Parallèlement, les financements de l’ANRU s’ouvrent aussi à de nouveaux modes d’intervention, contribuant entre autres à l’émergence de nouvelles filières vectrices d’une nouvelle économie pour les quartiers – sur le réemploi par exemple – ou à la structuration de l’économie informelle afin de favoriser l’insertion professionnelle et les projets entrepreneuriaux des habitants par une logique de développement économique endogène.
Seef, Sophie, Selma, Arthur... leurs projets prennent vie dans les quartiers
«OZED s'épanouit chez la Duchesse !»
Arthur Daviet dirige OZED, un concepteur de lunettes en bois qui a installé ses bureaux il y a plusieurs mois à la Duchesse, un tiers-lieu en occupation temporaire dans le quartier de la Duchère à Lyon. Géré par la structure Ma Friche Urbaine, qui travaille avec le Fonds de co-investissement de l’ANRU à l’implantation de projets économiques dans différents QPV de la métropole, ce tiers-lieu est implanté dans un territoire en plein renouvellement au sein d’un bâtiment voué a la démolition, mis a disposition par le bailleur social Lyon Métropole Habitat. Cet espace de 380 m2 accueille à la fois des entreprises prêtes à s’engager dans la vie locale, des artistes et un lieu dédié aux habitants.
OZED est née il y a 12 ans à Belfort autour d’une collection de montures de lunettes en bois haut de gamme. Pour ma part, je suis opticien-lunetier de formation et j’ai rejoint la société en 2015, initialement pour un stage… Trois ans plus tard, j’ai repris la société avec Lucas Manfredi, mon associé et ami d’enfance, lui-même ancien stagiaire chez OZED. À l’époque, le siège social de l’entreprise était à Lyon dans des locaux à bail précaire. Au bout de quelque temps, nous avons cherché à déménager plus près du centre pour mieux nous développer, car notre gamme reçoit un accueil de plus en plus enthousiaste de la part des opticiens qui saluent la dimension à la fois écoresponsable et résolument mode de nos montures. Et un jour, Nathalie Feltmann, qui s’avère être une ancienne camarade d’école, m’a parlé de la Duchesse, le tiers-lieu en occupation temporaire qu’elle dirige, dans le quartier de la Duchère, avec vue sur Fourvière. Nous avons vite été séduits par cet espace hybride et convivial où l’on croise tous les jours les équipes d’autres entreprises – un spécialiste du réemploi des matériaux de construction, une coopérative qui revalorise les stocks dormants de tissus… –, mais aussi des artistes en résidence et des habitants du quartier.
« Nous avons l’ambition de continuer à nous développer dans le quartier »
C’est un lieu très stimulant pour travailler, avec, qui plus est, un loyer attractif. Dès notre arrivée, nous avons souhaité qu’OZED soit pleinement partie prenante de la dynamique de la Duchesse, et nous avons mis en place des ateliers pour faire découvrir nos métiers aux habitants du quartier. Nous avons eu pas mal de succès auprès des jeunes, qui apprécient beaucoup la dimension design de notre activité, et plusieurs d’entre eux nous ont rejoints pour des stages. Aujourd’hui, OZED compte six collaborateurs, et nous avons l’ambition de continuer à nous développer dans le quartier. Nous sommes d’ailleurs en train de préparer une levée de fonds qui devrait nous permettre d’ouvrir un atelier de montage et de fabrication à la Duchère, où nous pourrons former nos futurs collaborateurs « made in Lyon »
«J'ai cherché ma voie et je l'ai trouvée»
Seef Al Din Al Chamali a 18 ans et une longue carrière de coiffeur devant lui. Si aujourd’hui le jeune habitant du quartier Villejean à Rennes peut croire en son avenir, c’est d’abord grâce à sa curiosité et à son envie de s’accrocher, mais aussi parce qu’il a franchi la porte de l’AFEV. Présente dans de nombreux QPV dans la plupart des territoires français, cette association partenaire de l’ANRU depuis 2023 lutte contre les inégalités sociales et éducatives. À Rennes, l’un de ses dispositifs phares est un modèle de service civique baptisé « Apprentis solidaires » qui prépare chaque année une dizaine de jeunes non diplômés à accéder à l’apprentissage en échange de missions de bénévolat.
Je suis syrien et je suis arrivé en France à 8 ans avec ma famille. C’était il y a dix ans. J’habite à Rennes, dans le quartier Villejean, sur la dalle Kennedy. En fin de collège, j’ai été orienté vers un bac pro en électricité sans avoir vraiment pu donner mon avis. Au début du lycée, je me suis dit que j’allais peut-être aimer ça, mais au final ça n’était vraiment pas pour moi alors j’ai vite décroché. À cette époque-là, j’ai eu un peu peur pour mon avenir, je me demandais ce que j’allais devenir sans formation. Mais je me suis vite repris en main et j’ai cherché ma voie, comme on dit. J’ai d’abord tenté ma chance dans le secteur de l’animation, mais il y a clairement trop de candidats alors j’ai essayé d’autres choses par moi-même. C’est comme ça que j’ai découvert la coiffure et cela a été une révélation. J’adore manipuler les ciseaux et discuter avec les gens qui viennent se faire beaux, des jeunes, des papis, et même des enfants qui ne tiennent pas en place !
«Pourquoi pas ouvrir mon propre salon de coiffure un jour ?»
Pour pouvoir aller plus loin, je me suis rendu à la mission locale qui m’a permis de faire des stages de coiffure à plusieurs endroits, et ça a confirmé mes premières impressions. Ensuite, j’ai entendu parler du service civique « Apprentis solidaires » que propose l’AFEV Villejean. C’est un service civique de six mois un peu spécial : trois après-midi par semaine, je rejoins des associations pour du bénévolat – je distribue des boissons chaudes pour le Secours populaire, je fabrique des briques de terre crue ou je travaille à la boutique de matériaux recyclés pour Emmaüs, j’aide l’équipe d’une maison de quartier à Maurepas… –, et le reste du temps, l’AFEV m’aide à concrétiser mon projet. J’ai appris à rédiger une lettre de motivation, un CV, et on m’entraîne à passer des entretiens d’embauche et puis, un service civique, ça aide à retrouver un cadre, ça nous force à nous réveiller et à arriver à l’heure, à être attentifs à ce qu’on nous demande. Ce service civique m’a aussi permis de faire des stages dans des salons de coiffure, et maintenant je suis plus serein, j’ai envie de passer un CAP pour me professionnaliser et pourquoi pas ouvrir mon propre salon de coiffure un jour !
«J'ai décidé de vivre ma passion»
Pour Selma Mcirdi, la cuisine c’était un rêve d’enfance auquel elle croyait avoir renoncé pour toujours. Mais aujourd’hui, elle anime des Masterclass professionnalisantes au sein de l’association Tout un Art, pour partager sa passion des petits et des grands plats et aider les mamans des quartiers à réussir leur projet de vie. Fondée au Blanc-Mesnil en 2011, cette association cherche à révéler par la cuisine le plein potentiel des femmes issues des quartiers prioritaires de l’Est francilien.
Ma mère, ma sœur, mes frères… Dans ma famille, tout le monde adore cuisiner, et chez moi, ça a toujours été une passion. Aussi loin que je remonte, je me revois en train de dévorer les émissions de cuisine à la télévision. Certains ont grandi avec les dessins animés, moi, c’est avec Joël Robuchon ! Mais quand il a fallu trouver un métier, je me suis tournée vers l’animation auprès des tout petits. C’est comme si j’avais eu honte de ma passion, j’avais l’impression que c’était une voie de garage pour ceux qui ne pouvaient rien faire d’autre. Ceci dit, j’ai apprécié l’animation, et j’ai passé de belles années au contact des enfants. C’est le Covid qui m’a ouvert les yeux. Coincée chez moi, j’ai réfléchi à ce que je voulais réellement faire de ma vie, et j’ai décidé de prendre un nouveau départ. J’ai contacté Samira, la directrice de l’association Tout un Art pour laquelle je faisais du bénévolat. Je savais qu’elle proposait une Masterclass professionnalisante en cuisine.
«Ça m’a tellement plu que je co-anime la Masterclass avec un chef !»
C’est un format court, de quatre semaines, qui permet de diversifier ses aptitudes en cuisine en se familiarisant avec les fondamentaux de la gestion et de l’hygiène. L’idée est de passer en douceur du savoir informel aux connaissances formelles, pour pouvoir trouver un emploi, dans une cuisine collective ou chez des traiteurs. En majorité, cette formation s’adresse à des mères de famille qui n’osent pas se lancer dans la création d’une microentreprise, ni même se présenter à des employeurs parce qu’elles n’ont pas conscience de leurs savoir-faire ou qu’elles sont bloquées par leurs complexes, souvent liés à la maîtrise du français. Pour ma part, j’ai suivi la Masterclass essentiellement pour réviser mes bases aux fourneaux… Mais ça m’a tellement plu que, maintenant, je la co-anime avec un chef ! Chaque année, je forme dans notre atelier de Garges-lès-Gonesse trois à quatre promotions de neuf à dix élèves que nous sourçons par le biais d’acteurs divers (maisons de quartier, associations, France Travail…) et qui viennent de Bondy, Villepinte ou du Blanc-Mesnil. Et les résultats sont là, avec de nombreuses belles histoires de femmes qui ont retrouvé confiance en elles et qui ont pu réaliser leur rêve ou mener à bien leur projet de vie.
«Maintenant j'ai confiance en l'avenir»
Après de longues années peu épanouissantes dans la restauration, Sophie Dubois reprend de l’assurance et trouve un second souffle professionnel grâce à la Régie de quartier Diagonales. Présente sur les trois QPV de LaRochelle, cette structure associative est lauréate de l’AMI « Quartiers Fertiles » pour son projet Dunes fertiles, qui conjugue agriculture urbaine au service des habitants des quartiers, lien social et accompagnement dans l’emploi.
De mes 16 ans à mes 32 ans, j’ai essentiellement travaillé en restauration, principalement à la plonge. Mais il y a quelques années, j’ai sombré dans une longue dépression et j’ai dû arrêter de travailler. Quand j’en suis sortie, j’ai voulu changer de métier. Je gardais de très beaux souvenirs de séances de jardinage chez mes grands-parents, alors j’ai souhaité tenter ma chance dans ce domaine. C’est la commission locale d’insertion de La Rochelle qui m’a mise en relation avec la Régie de quartier Diagonales qui aide les habitants des quartiers à retrouver le chemin de l’emploi durable grâce à des contrats d’insertion et à un accompagnement personnalisé.
«Ces années passées chez Diagonales ont tout changé !»
Ça fait maintenant un peu plus de trois ans que je suis ici. Dans un premier temps, j’ai été embauchée à l’entretien d’espaces verts puis j’ai eu l’opportunité de rejoindre l’équipe qui s’occupe de Dunes fertiles, la microferme urbaine de Diagonales. Là, j’ai découvert des savoir-faire que je ne connaissais pas et j’ai appris à cultiver de nombreuses variétés de légumes. J’ai aussi été amenée à vendre notre production au public. J’ai beaucoup apprécié les interactions avec les clients, moi qui suis pourtant une très grande timide. Sur ce plan, ces années passées chez Diagonales ont tout changé, notamment grâce à une formation d’équicoaching qui m’a été proposée dans le cadre de mon contrat d’insertion. L’enjeu était de reprendre confiance en moi au contact des chevaux, et ça a vraiment eu beaucoup d’effet. J’ose enfin sortir de ma bulle et je suis moins sensible au stress qui m’a longtemps paralysée. Il y a quelques mois, j’ai été amenée à transmettre à mon tour mes connaissances à une nouvelle recrue de Diagonales et j’ai beaucoup aimé cette expérience, dont j’aurais été incapable auparavant. Dans quelques semaines, mon contrat va prendre fin mais j’ai confiance en l’avenir. J’ai commencé les cours de code pour passer mon permis de conduire et j’envisage de postuler à la ville de La Rochelle pour rejoindre l’équipe des jardiniers municipaux.
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