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Rudy Ricciotti : "Le destin d’un architecte, c’est de réparer des territoires abîmés"
Vu dans en villes, le mag de l'anru
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Vous vous présentez souvent comme un architecte de combat. Qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?
Architecte, c’est un métier d’adversité où rien n’est simple, tout résiste : un combat avec la maîtrise d’ouvrage, le bureau d’études, au niveau du permis de construire… avec tout le monde ! N’y voyez pas une paranoïa, c’est juste une réalité. Dans le montage d’une opération, par exemple des logements sociaux dignes, il s’agit d’un combat permanent dans le sens où l’aboutissement d’un beau dossier est toujours précédé par une salade de problèmes dans laquelle il faut tout remettre en ordre.
La création de l'ANRU est l’une des décisions les plus intelligentes que l’État ait faite en matière de gestion et d’aménagement du territoire.
Vous dites aussi que le destin d’un architecte, c’est de réparer des territoires abîmés, pour leur donner une fonction. À l’ANRU, les quartiers sur lesquels nous intervenons répondent à des problématiques similaires. Que cela vous inspire-t-il ?
La notion de réparation urbaine, elle est omniprésente. Mais ce n’est pas dans les beaux quartiers de Paris, Lyon ou Marseille, ni dans les paysages de la ruralité que sont les problèmes. On les rencontre en périphérie des villes, dans des quartiers en difficulté d’un point de vue parfois urbanistique et pas forcément socio-économique. Je ne vais pas tenir un discours de propagandiste pour l’ANRU mais c’est miraculeux que vous existiez ! La création de cette agence est l’une des décisions les plus intelligentes que l’État ait faite en matière de gestion et d’aménagement du territoire. Voilà une institution républicaine dont le travail est visible !
Parlons des enjeux des quartiers et de l’ANRU. Pour vous, c’est quoi le partage entre le travail de l’architecte et le travail de l’urbaniste ? Est-ce qu’ils savent travailler ensemble, en particulier pour reconstruire des territoires abîmés ?
Est-ce qu’ils savent travailler ensemble ?… Ça dépend de la qualité de l’architecte et de l’urbaniste. Est-ce qu’ils doivent travailler ensemble ? Oui, évidemment. Personnellement, ça ne me dérange pas du tout de faire un bâtiment qui suit au centimètre près l’emprise que l’urbaniste aura définie. Ce n’est pas à nous, les architectes, d’organiser le dialogue participatif, de rencontrer les partenaires, les associations, les propriétaires bailleurs pour mettre au point un quartier avec sa voirie, ses espaces non bâtis. Peut-être que parfois le rêve manque aux urbanistes… mais ils doivent savoir partager le fardeau avec nous. Je pense qu’il faut en appeler aussi à la responsabilité des paysagistes. Mettons des arbres oui, mais la question de la pérennité et du déficit d’entretien possible doit être abordée. C’est le cas par exemple dans le Sud où je vis, où l’eau est très chère, et donc l’arrosage, problématique.
Pour transformer en profondeur des quartiers en renouvellement urbain, la démolition d’une partie du bâti est souvent nécessaire avant de reconstruire. Est-ce que pour l’architecte que vous êtes, la démolition est un tabou, ou un échec ?
Ce n’est ni un tabou, ni un échec. La démolition est d’abord un traumatisme. J’ai passé mon enfance et mon adolescence dans un HLM dans le Vaucluse puis en Camargue. Ils ne sont pas beaux, ils sont atroces, mais je me souviens que nous y étions heureux. Je ne l’ai jamais vécu comme une marque d’indignité. La question est donc d’abord sociologique, mémorielle et identitaire. Avant de démolir, il faut réfléchir, il faut savoir si ça vaut la peine, parce qu’il y a aussi une dimension d’écologie environnementale. Après, si c’est vraiment médiocre… eh bien il ne faut pas non plus faire de fétichisme : s’il faut amputer, on ampute !
Les quartiers en renouvellement urbain ont souvent été négativement qualifiés de "quartiers bétonnés". Comment réagissez-vous alors que vous donnez une place centrale à cette matière dans vos projets ?
Les quartiers bétonnés, c’est un vocabulaire. Oui, c’est la vérité. L’urbanisation des années 1950, 1960 est atroce. Aujourd’hui, je rencontre encore des maires qui valident cette urbanité-là, qui sont trompés, en même temps que le citoyen, par les plans locaux d’urbanisme. Quant au béton, il était certes critiquable, mais il l’est de moins en moins. Il faut être un peu lucide, un peu citoyennement responsable, dans la tendance aujourd’hui, qui est de faire des bétons décarbonés, seulement avec des ressources végétales. Du reste, le bénéfice environnemental du béton n’est pas que là, mais dans une chaîne courte de liaison. Si abandonner le béton revient à faire venir du bois qui vient d’Europe du Nord, transporté sur des camions qui roulent au gasoil, on peut aussi se poser la question de cette empreinte environnementale-là.
Vous avez dessiné le bâtiment « Kanal » qui accueillera, notamment, le nouveau siège de l’ANRU à Pantin, en milieu d'année 2022. Quelle est l’identité de ce bâtiment et quels ont été les défis du projet ?
C’est un bâtiment qui prend le contexte géométrique complexe de la parcelle – entre le canal de l’Ourcq et les bâtiments existants – et qui « gesticule » à l’intérieur pour en optimiser l’espace. De façon très imagée, le projet ambitionne de trouver un équilibre confortable dans un fauteuil. Le vert de la façade rappelle le caractère aquatique et fluide du projet en proximité du canal, en mimant les ondulations de l’eau quand le vent souffle dessus. À l’ANRU maintenant d’écrire son histoire en y prenant toute sa place !
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