À Dunkerque, comme maire et président d’agglomération, vous avez porté des projets de renouvellement urbain, dans le cadre du PNRU, puis du NPNRU. Quels sont pour vous les facteurs clés de la réussite d’un projet ?
Patrice Vergriete : Il n’y a pas de modèle absolu. Les projets de renouvellement urbain s’inscrivent plus largement dans un projet de territoire. Il faut une cohérence entre les politiques urbaines, de transport, d’éducation, d’aide sociale, de sport, culturelles… À Dunkerque, dès 2018, la politique de transport public gratuit ambitieuse a été au service du désenclavement urbain des quartiers. Elle devient désormais un élément clé de toute la politique de logement pour que chaque habitant puisse être à moins de 300 mètres d’un arrêt de bus.
La politique de rénovation urbaine doit être le fruit d’un compromis fort et collectif car sa réussite dépend de chacun. Les habitants doivent être associés à chaque étape du projet et en comprendre les enjeux. Les bailleurs doivent être mobilisés pour la rénovation des logements mais aussi rester au plus près des habitants que ce soit dans les étapes de relogement potentiel que dans la gestion locative et leur vie quotidienne. Les entreprises du bâtiment doivent être engagées pour la qualité des logements produits et le respect des délais autant que les services de l’État toujours présents pour la réussite des projets. Enfin, la réussite d’un projet doit s’appuyer et porter une vision claire.
Derrière la rénovation urbaine des quartiers populaires, il s’agit de savoir quelle place la ville donne à ses habitants les plus pauvres et comment on assure une mixité sociale et fonctionnelle réelle in fine. C’est l’un des éléments de fierté qui font que Dunkerque fait partie des quelques villes qui allient une forte proportion de logements sociaux et un vivre-ensemble véritablement efficace.
La rénovation urbaine doit s'accompagner de politiques sociales ambitieuses, au niveau local comme national
Le 20 juillet dernier, vous avez été nommé ministre du Logement. Vous avez rédigé il y a quelques années une thèse sur la production de logements en France. Quelles sont vos priorités ?
Le logement connaît une crise importante en raison notamment de la hausse brutale des taux d’intérêt qui génère une chute de la demande et par ricochet une forte baisse de la construction de logements. L’urgence consiste donc à resolvabiliser la demande, qu’elle soit en accession, en investissement locatif privé ou en logement social. Mais il faut aussi changer l’architecture de la politique du logement, en revoir le cadre en profondeur et de manière pérenne.
Il faut assumer une véritable différenciation territoriale de la politique du logement. Construire là où c’est nécessaire, réguler le marché en fonction des contingences locales… La question foncière est cruciale et les collectivités comme grands opérateurs ont un rôle déterminant à jouer. Par conséquent, nous réussirons si nous libérons les initiatives au niveau du terrain, en assumant la décentralisation. Mon cap est de donner plus de compétences aux collectivités locales, ce qui veut dire plus de moyens d’agir mais aussi plus de responsabilité.
Enfin, la question de la rénovation, notamment énergétique, des logements actuels est fondamentale, que ce soit dans le parc social que dans le parc privé. Nous devons pour cela structurer la filière professionnelle de la rénovation, améliorer l’accompagnement des propriétaires dans la rénovation (MaPrimeRénov') et trouver de nouvelles solutions pour le reste à charge.
Vous avez également, dans votre portefeuille ministériel, la préparation et la mise en œuvre de la politique de renouvellement urbain. Quels enjeux associez-vous au renouvellement urbain ?
Dans les années 1990, avec les contrats de ville, on pensait que la dimension socio-culturelle suffisait, mais on s’est rendu compte que sans un travail sur l’urbain, on n’y arriverait pas. La création des Grands Projets de Ville puis de l’ANRU a permis de mettre tous les acteurs autour de la table et d’apporter des financements nationaux essentiels à la rénovation de nos quartiers populaires. Presque vingt ans après, cette politique publique est indéniablement une réussite et le modèle de l’ANRU un succès, notamment dans sa capacité à travailler en étroit partenariat avec les élus locaux.
La rénovation urbaine doit continuer à se déployer. Il faut rendre concrets pour les habitants les milliards investis. À Dunkerque comme partout en France, je vois les grues, les équipements et logements livrés, les parcs émergés. Il faut continuer cette dynamique et l’amplifier. Elle doit aussi s’inscrire dans les enjeux à venir et je pense notamment à l’adaptation face au changement climatique. Dans ce sens, la démarche « Quartiers Résilients » est un outil supplémentaire à la disposition des collectivités territoriales. Elle doit, enfin, ne jamais oublier sa dimension sociale. Les habitants des quartiers en renouvellement urbain sont, par construction statistique, les plus pauvres. Elle doit donc s’accompagner de politiques sociales ambitieuses, au niveau local comme national. Elle doit aussi permettre de recréer du lien social dans le quartier, remettre des gardiens d’immeuble,…
À travers la politique de renouvellement urbain, l’objectif est le bien-être des habitants.
On fait mieux aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Et je souhaite qu’on fasse mieux dans vingt ans qu’aujourd’hui.
Vous évoquiez les 20 ans de la politique de renouvellement urbain. En 20 ans, qu’est-ce qui a changé ?
La question environnementale est plus forte aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Même si cette dimension a toujours fait partie des objectifs du renouvellement urbain, elle est aujourd’hui une boussole. On réfléchit à la place de la nature pour créer des îlots de fraicheur. On travaille sur la performance énergétique des logements, les mobilités douces… Les habitants demandent aussi à être mieux associés à la construction et la mise en œuvre des projets. C’est compliqué, ce sont des projets sur 10-15 ans, les habitants changent, certains partent, d’autres arrivent. Il est parfois difficile de se projeter sur des durées aussi longues. En vingt ans, du boulot a été fait et les besoins ont changé. La question des copropriétés dégradées se posait moins. Des quartiers se sont paupérisés sans pour autant être caractéristiques des « grands ensembles ».
Et surtout, en vingt ans, on a collectivement appris, les techniciens comme les élus. On fait mieux aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Et je souhaite qu’on fasse mieux dans vingt ans qu’aujourd’hui. Le renouvellement urbain est une politique publique inédite qui lie les partenaires sociaux, les élus locaux et l’État au service des habitants des quartiers populaires. Ils méritent que nous cherchions à toujours faire mieux.
Votre interview s’inscrit dans un hors-série du magazine « En Villes » sur l’histoire du renouvellement urbain. Avez-vous une anecdote qui, selon vous, caractérise cette politique publique ?
Le 27 mai 2000, j’étais aux côtés de Claude Bartolone alors ministre de la Ville, lorsqu’il a appuyé sur le bouton qui a démoli la « Muraille de Chine » à Saint-Étienne. Du millier de personnes rassemblées ce jour-là comme de tous ceux que je croise encore aujourd’hui à chaque démolition, je garde en tête les échanges et les regards avec tous ces habitants qui racontent leur vie et les années passées dans ces logements, dans leur quartier. Le renouvellement urbain, la Ville, c’est d’abord de l’humain, ne l’oublions jamais.
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