Comment avez-vous commencé la musique ?
Morgane Raoux : J’ai grandi dans un quartier HLM dans les années 1970 avec des enfants venant de tous horizons et j’ai adoré évoluer au milieu de cette richesse culturelle. Mon miracle a eu lieu grâce à l’école publique de mon quartier prioritaire. Dès la dernière année de maternelle, nous avions accès à des cours de musique tous les jours pendant une heure. C’était un pari sur la réussite scolaire, pour rendre l’enseignement plus motivant grâce à cet éveil à la musique et ça a fonctionné, car cela nous mettait dans de bonnes conditions d’apprentissage, nous étions plus à l’écoute. Du CE1 à la 3e, j’ai intégré une classe en horaires aménagés au conservatoire de Clermont-Ferrand, et j’ai commencé à apprendre le solfège, la chanson et surtout la clarinette. Mes parents écoutaient de la musique mais pas forcément du classique, ils s’y sont mis en même temps que moi. Ce dispositif a finalement bénéficié à toute la famille puisque mes frères et soeurs ont également intégré ces classes et mes parents se sont laissé embarquer dans cette passion.
La clarinette était un instrument surtout joué par les garçons, j'aimais être la seule fille à en jouer, et être plus forte qu'eux !
Pourquoi avoir choisi la clarinette ?
Le choix de la clarinette, je le dois à la musicienne intervenante de mon école qui nous avait donné des places pour un concert à l’opéra du centre-ville. C’était le concerto de Mozart, il était joué par un clarinettiste. J’ai eu un coup de foudre pour le morceau et l’instrument. Être dans un aussi bel endroit que l’opéra était une première pour moi, tout comme le son de la clarinette qui a une amplitude très proche de ce que peut faire la voix humaine. Le souffle, la rondeur, le timbre de la voix, c’est ça la clarinette. On la retrouve dans le classique, le jazz, à la télé dans les cartoons… Et puis c’était surtout un instrument joué par les garçons et j’aimais bien être la seule fille à en faire et être plus forte qu’eux ! Je me suis dirigée vers le classique, en partie grâce à cette musicienne qui nous a transmis sa passion. Ce style est tellement riche, tout le monde peut y trouver son bonheur. Il demande une très forte exigence, on ne cesse d’apprendre. Le classique pour moi, c’est un peu comme le bon vin, quand on en a goûté du très bon, on y revient et on a du mal à boire de la piquette !
Vous avez intégré le conservatoire, étudié la musicologie à la Sorbonne, joué dans divers orchestres, êtes devenue professeure à votre tour… Et à 25 ans, tout s’arrête. Pouvez-vous nous raconter ?
En effet, après mes études j’ai travaillé très vite avec différents orchestres, j’ai aussi été professeure dans un conservatoire parisien. C’est certain qu’il fallait trouver sa place en étant une femme dans ce milieu d’hommes, le milieu musical n’a pas été épargné du sexisme ordinaire… Il n’y avait aucune femme clarinettiste professionnelle quand j’ai débuté. À 25 ans, je pensais que ma vie était toute tracée, je vivais un rêve éveillé. Je jouais dans des grands opéras, interprétais des symphonies, et un jour, en pleine répétition, je ressens une douleur extrême dans la poitrine. À l’hôpital, le diagnostic tombe : un pneumothorax. Mon poumon s’était complètement détaché de la paroi. J’ai été opérée à plusieurs reprises, car j’en ai eu un deuxième, puis un troisième. J’avais perdu le souffle, ça ne fonctionnait plus. Interdiction de souffler dans mon instrument. Mon corps m’avait lâché. Mes poumons ne supportaient plus la pression de l’air que nécessite le souffle pour jouer de la clarinette.
Après cet accident, vous rebondissez assez vite. Quel a été le déclic ?
Un de mes déclics s’est produit lors d’un concert klezmer, de la musique yiddish, où un très vieux clarinettiste est arrivé sur scène et s’est mis à jouer en soufflant beaucoup moins fort, comme s’il chantait, avec un matériel différent. Il a partagé cette technique avec moi, désormais je joue autrement. Le deuxième a été de devenir mère, mes enfants m’ont inspiré des chansons et j’ai adoré cela. Je me suis mise à composer, à chanter, à écrire des spectacles musicaux, à les jouer, à transmettre ma passion ! Disons qu’entre mes 27 et 30 ans j’ai changé de métier. J’ai commencé une nouvelle carrière musicale. Différente. À l’image de la musicienne intervenant dans mon école, je voulais m’adresser aux enfants, leur offrir un accès à la musique et leur faire aimer. J’ai composé des disques, écrit des livres musicaux et des spectacles à destination des enfants, via mon association Madame Clarinette, qui ont lieu partout dans la Francophonie.
Avec cette association, vous menez des ateliers d’éveil musical auprès des jeunes enfants mais aussi auprès des professionnels de l’éducation.
J’organise et assure plusieurs interventions musicales dans des écoles de façon ponctuelle à la demande des établissements, à destination des 3 à 7 ans, mais aussi au Chesnay les mercredis et samedis. L’objectif de ces ateliers d’éveil est d’amener les enfants à s’épanouir et à s’autoriser à faire de la musique, les décomplexer pour chanter… J’aide également les professeurs des écoles et les personnels de crèche à mettre en place des ateliers musicaux dans leurs classes. En parallèle, je suis engagée auprès de l’association Orchestre à l’école qui permet d’acquérir gratuitement des instruments de musique et dispense des cours aux enfants pour constituer un véritable orchestre au sein de l’école, sur le temps scolaire. C’est formidable ! Récemment, ils ont pu jouer à l’Olympia aux côtés de musiciens professionnels, ce sont des moments inoubliables.
Au-delà des livres pour enfants, vous avez écrit un livre autobiographique, « Je ne souffle pas, je chante ! » (aux éditions Michalon) en 2021. Un an après, vous l’adaptez en pièce de théâtre « Second souffle » (mise en scène par Julie-Anne Roth). Que faut-il en retenir ?
Cette pièce, c’est ma vie condensée en 1 h 20. Je joue mon propre rôle et partage la scène avec un autre comédien. On retrace mon histoire avec bien évidemment une place centrale pour la musique, mais aussi pour mon enfance dans mon quartier. C’est assez impressionnant de se livrer, mais tellement intense de partager mes émotions avec le public, comme une communion. Après deux ans de tournée, une centaine de représentations, je suis encore émerveillée par la tournure qu’a prise ma vie. Ce n’est pas le but qui est important mais bien le chemin. Il faut savoir sublimer les épreuves, elles peuvent se transformer en joyaux. C’est une histoire de résilience, du deuil de mon rêve d’enfant. Je peux vous dire que la pièce est axée sur la question principale : est-ce que je vais pouvoir rejouer de la clarinette ? Si vous voulez la réponse, il faudra venir nous voir sur scène !
Selon vous, que peut apporter la rénovation urbaine dans l’accès à la culture ?
À la Croix-de-Neyrat, nous n’avions pas d’équipement culturel, pas de salles dans lesquelles répéter, mais nous jouions, dansions dehors ! Il est nécessaire de créer et d’inclure des endroits où les jeunes puissent accéder à la culture, qu’elle soit musicale, littéraire ou théâtrale. En intégrant les plus jeunes, sans oublier les jeunes filles, aux projets de rénovation afin qu’ils se réapproprient les espaces qui leur sont dédiés. Mon immeuble était un village à la verticale, il y avait beaucoup d’entraide et d’humanité. Je crois que la rénovation des quartiers sert à ça aussi : imaginer à nouveau les quartiers comme des villages en y replantant des places, des bancs, des salles, des lieux de vie… du beau, surtout !
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