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© ANRU/Sylvie Dupic

Cadre de vie

La Courneuve : la rénovation urbaine racontée par ses habitants

Sa première pierre fut posée en mars 1956 par l’Office public HLM de Paris. Symbole des grands ensembles édifiés en région parisienne, la « Cité des Quatre mille logements » de La Courneuve fait l’objet de plusieurs programmes de rénovation urbaine. Récit d’une banlieue qui se transforme à travers le regard de ses habitants.

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Il trône au-dessus de la dalle commerciale. Le mail de Fontenay est le dernier géant des « 4000 Sud » de La Courneuve. Il abrite 1 200 habitants. Parmi eux, Mélanie Ouledi, 26 ans. À l’horizon 2025, cette barre d’immeuble sera partiellement déconstruite pour faire place à des espaces verts et de petites résidences, mieux intégrées au tissu urbain. D’ici quelques mois, la jeune femme sera relogée avec sa famille au Blanc-Mesnil. Je suis une enfant des 4000. J’ai adoré grandir ici. Ses premiers souvenirs remontent à 2003, dans la Tour du Général Leclerc située juste en face. Avant d’arriver au mail, nous vivions dans un studio avec ma mère et mes trois sœurs. C’était trop petit, décrit-elle. Sa grand-mère, Annie Vibert, a aussi occupé ce mastodonte de béton. En 1972, elle s’installe au 26e étage. Que c’était haut ! Nous avons eu un F2 puis un F4. C’était génial, grand, bien agencé et il y avait de la couleur, se remémore l’ancienne câbleuse dans l’électronique.

La Courneuve, c'est mon bébé (...) je n'ai pas envie de la quitter !

Dans les années 1970, pour arrondir ses fins de mois, Annie Vibert fait des remplacements de gardienne d’immeuble à Renoir. Elle y écoute les problématiques locales. De vigie des 4000, elle devient leur porte-voix en 2011, en tant que présidente de l’Amicale des locataires.  Ici tout le monde me connaît. Je fais remonter ce qui ne va pas dans les logements à l’Office public de l’habitat Seine-Saint-Denis. En 2009, elle déménage dans de nouveaux bâtiments, rue François Villon. La Courneuve, c’est mon bébé. Malgré les trafics qui persistent, je n’ai pas envie de la quitter.

Même sentiment d’appartenance pour Evelyne Vosgy. Cette sexagénaire occupe le même appartement de la Tour du Général Leclerc depuis 48 ans. De sa fenêtre, elle a observé les étapes successives du renouvellement urbain. Difficile d’imaginer où étaient les tours avant. Ils ont cassé ces immeubles qui bouchaient les perspectives. Aujourd’hui, j’ai une vue superbe sur Bobigny, La Courneuve et Aubervilliers, se réjouit-elle. En 1986, le Grand Debussy tombe. C’est la première démolition des « 4000 ». Abdel Saadouni qui a grandi dans l’ancien bidonville du parc de La Courneuve se souvient encore du jour où la tour est grignotée par les mâchoires d’une grue géante : Le bâtiment coupait du soleil. La lumière est revenue. Ce fut comme une respiration. Presov et Ravel, deux barres jumelles de 15 étages partent en fumée en 2003. En 2011, c’est au tour de Balzac.

C’était un petit royaume ici. Il y avait une vraie solidarité entre les gens

 

Dans les années 1970, la Tour du Général Leclerc abritait une population composée en majorité de commerçants et d’employés de l’administration. C’était un petit royaume ici. Il y avait une vraie solidarité entre les gens. Nous étions très heureux et nous n’avions pas peur de sortir le soir. Les choses ont commencé à se dégrader à partir de 1980-81, raconte Evelyne Vosgy. L’habitante déplore la disparition progressive des commerces et des infrastructures comme le centre médico-social et la Caisse primaire d’assurance maladie. En contrebas, subsistent une supérette, une boulangerie, un lunetier et une pharmacie. Une pépinière d’entreprises y est aussi installée.

Au début des années 2000, deux conventions de financements sont signées pour transformer ce quartier prioritaire. À partir de 2011, le PNRU a permis de restructurer plusieurs secteurs des 4000 Nord et Sud. Les grandes barres ont presque toutes été déconstruites pour faire place à des résidences à taille humaine. L’école Joséphine Baker a été livrée, celle de Paul Langevin réhabilitée. Ce programme a aussi permis de requalifier le secteur Convention - Centre-ville, où 515 logements ont été réhabilités. Dans les 4000 Nord, la Maison pour tous Cesaria-Evora a été livrée et les groupes scolaires Rosenberg et Robespierre rénovés. Les travaux se poursuivent dans le cadre du NPNRU, avec un aménagement des voies de circulation offrant des alternatives à la voiture. La déconstruction de l’emblématique barre Robespierre très dégradée et de ses 305 logements, la reconstruction et la réhabilitation de 746 nouveaux logements vont permettre de diversifier l’offre locative et d’attirer de potentiels acquéreurs. La première pierre de la résidence verte Eco’logik a été posée en septembre dernier.

Place Georges-Braque, un groupe d’hommes discutent, adossés à la devanture de l’Association du 17 octobre 1961 - jour de la sanglante répression policière contre la manifestation des Algériens à Paris. Ici, c’est ouvert à tout le monde. Nous passons le temps, jouons aux cartes, discutons, explique Areski Aitidir. À 53 ans, lui aussi partage cette mémoire des 4000. C’était un village ici quand j’étais enfant. J’ai vécu dans tous les bâtiments qui sont tombés. Aujourd’hui, La Courneuve a beaucoup changé. Il y a eu de nombreuses améliorations, c’est plus agréable, plus aéré mais les conditions de vie n’ont pas vraiment changé, commente-t-il. Tous ces changements sont positifs dans les infrastructures, c’est plus humain, mais la qualité des logements n’a rien enlevé à la précarité, complète Abdel Saadouni. Ici, le taux de pauvreté affleure les 41 %.

Il fut un temps où, sans être accompagné, tu ne pouvais pas te balader ici

Si la disparition des tours a adouci l’architecture des 4000, les problématiques sociales et sécuritaires persistent dans cette cité de Seine- Saint-Denis. Les 4000, ce n’est plus ce que c’était, ça s’est vraiment calmé. Il fut un temps où, sans être accompagné, tu ne pouvais pas te balader ici, signale Abdel Saadouni. Longtemps, cette banlieue parisienne a été en proie à la violence et aux rivalités entre clans pour le contrôle du trafic de drogue. Jusque dans les années 2000, depuis la gare, un parcours fléché guidait les acheteurs vers Balzac. Quand la tour tombe, les dealers migrent vers le Petit Debussy. L’immeuble est détruit en 2011.

Permettre aux Courneuviens de se réapproprier l’espace public et leur offrir de meilleures conditions de vie, c’est tout l’enjeu de ce programme de renouvellement urbain. Implantée sur les vestiges de Balzac, la résidence Frida Kahlo illustre la transformation du secteur Ouest. Finalisé en 2017, cet ensemble de constructions bigarré abrite vingt logements collectifs et cinq maisons individuelles. Rue Frédéric Joliot Curie, des enfants foulent le gazon du terrain de foot synthétique. Gamins, nous rêvions d’avoir un terrain comme celui-ci. Si nous l’avions eu, nous serions devenus des footballeurs professionnels, formule Abdel Saadouni. Le nouveau groupe scolaire attenant pourra bientôt recevoir 24 classes. D’ici à 2026, la Gare La Courneuve Six-Routes accueillera les lignes 16 et 17 du nouveau métro. Nous pourrons rejoindre La Défense en 10 minutes ! Cette transformation urbaine est une réussite grâce à l’implication de la ville, des bailleurs, des partenaires mais il manque cette ambiance d’autrefois. L’âme des 4000 s’est un peu estompée, observe-t-il.

Il parle de la transformation du quartier

En 2014, Jérémy Gravayat collecte les témoignages des habitants de La Campa avec Yann Chevalier. De ce travail naîtra le livre-journal ATLAS : Histoires de l'Habiter – Récits & Documents, La Courneuve, 1950-2015, mais aussiun film documentaire, "A Lua Platz".

De nombreux travailleurs ouvriers du bâtiment faisaient partie des personnes que j’ai interrogées. Ils édifiaient les grands ensembles et, parallèlement, construisaient seuls leurs logements dans un bidonville. Un vrai paradoxe. Finalement, on ne les avait jamais intégrés à la pensée de la ville alors qu’ils avaient les compétences techniques. L’un d'entre eux m’a dit un jour : "Si l’on nous avait mis à contribution, nous aurions pu inventer un autre type de banlieue."

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