Repères
Lutte contre le mal-logement : 170 ans de politiques publiques
Vu dans en villes, le mag de l'anru
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L’histoire du mal-logement trouve ses origines dès l’Antiquité, où des hiérarchies socio-économiques marquées généraient de fortes disparités en matière de logement. L’équation était simple : les riches avaient accès à des habitations spacieuses et confortables, selon les standards de l’époque, tandis que les pauvres étaient relégués à des habitations rudimentaires. Au début du XIXe siècle, cet ordre établi est bouleversé par la Révolution industrielle qui se traduit par un exode rural massif.
L’urbanisation rapide et la croissance démographique incontrôlée engendrent une gigantesque pénurie de logements abordables et décents. Les taudis surpeuplés et insalubres sont monnaie courante avec des groupes familiaux de plusieurs générations s’entassant dans de minuscules pièces sans confort. À Paris, les conditions d’hygiène déplorables et le surpeuplement endémique ouvrent la voie à une circulation fulgurante des épidémies : fièvre jaune, choléra, tuberculose.
Il faut attendre 1850 pour que l’État français réagisse enfin avec une première loi sur l’assainissement des logements insalubres qui vise à favoriser l’intervention des communes pour obliger les propriétaires à réaliser des travaux dans les cas les plus graves
, indique Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Soumis à la volonté des élus locaux, le texte sera très peu appliqué. Dans le même temps, des industriels perçoivent le danger lié aux logements dégradés et surpeuplés pour leurs employés et leurs affaires. S’inspirant de ce qui se fait déjà aux États-Unis et en Angleterre, ils se lancent dans la construction d’ensembles d’habitations offrant un confort inusité pour l’époque.
HBM : un essor interrompu par la guerre
C’est dans ce contexte que naît en 1853, à Mulhouse, l’ancêtre des sociétés anonymes HLM. Le mouvement s’amplifie et se structure dans les décennies suivantes. Un premier congrès des Habitations à Bon Marché (HBM) a lieu en 1889 et cinq ans plus tard, les pouvoirs publics prennent le relai avec une loi « en vue de louer ou vendre les HBM » sonnant le début d’une activité législative intense. Elle se traduira par la création d'« offices publics d’HBM » dans les départements.
La grande guerre stoppe net ce mouvement d’innovation et les destructions dans la moitié nord du pays vont aggraver la pénurie de logements. Les mesures se succèdent pour relancer les constructions mais le second conflit mondial survient : 400 000 immeubles sont détruits et 2 millions sont endommagés.
Une priorité majeure
Face au manque de logements dramatique, le gouvernement crée le Fonds national d’amélioration de l’habitat, précurseur de l’ANAH, élabore de nouvelles modalités de fonctionnement des HBM qui deviennent HLM pour loyers modérés et libère les loyers du secteur privé pour redonner de l’air aux propriétaires.
Mais ça ne suffit pas à stimuler la relance de la construction. En 1953, le plan « Courant » est lancé, visant à construire 240 000 nouveaux logements par an. La participation des employeurs à l’effort de construction est instaurée. Cette période marque le début de la production en série de logements et l’établissement de normes pour l’eau, l’électricité et d’autres équipements. Les grands ensembles voient le jour.
En 1953, le plan « Courant » est lancé, visant à construire 240 000 nouveaux logements par an.
Le décès d’une femme dû au froid à l’hiver 1954 provoque le célèbre appel de l’Abbé Pierre. Cet appel a fait l’effet d’un électrochoc et le Parlement a immédiatement réagi en faisant construire 12 000 logements d’urgence et en accélérant encore le rythme de construction
, poursuit Christophe Robert. En 1957, la barre des 300 000 unités est franchie, ce sera le cas chaque année jusqu’en 1984.
Le logement est devenu une priorité majeure. De décret en décret, les pouvoirs publics se donnent les moyens d’agir : création des ZUP, premières opérations de rénovation urbaine ciblant les îlots insalubres des quartiers centraux, appui à l’accession à la propriété, résorption des bidonvilles… En 1977, la loi Quilliot introduit plusieurs dispositions importantes : encadrement des loyers, quotas de construction de logements sociaux, renforcement des contrôles sur la qualité et la salubrité des logements, encouragement à l’amélioration de l’habitat privé, mesures en faveur des plus défavorisés… Mais la réforme se solde pour partie sur un échec, dû notamment aux effets de la crise économique et sociale qui secoue alors les pays industrialisés.
Les lois succèdent aux lois
Les décennies suivantes voient le mal-logement prendre de plus en plus de place dans les préoccupations françaises. C’est d’ailleurs la période où la définition du mal-logement s’harmonise, sous l’impulsion de la Fondation Abbé Pierre qui s’est constituée en 1987. Depuis lors, les lois se relaient pour faire reculer le fléau : loi Besson qui introduit le droit au logement opposable, loi SRU établissant les quotas de logements sociaux, loi ENL pour la lutte contre le logement indigne, sans oublier bien sûr la loi Borloo de 2003 qui crée l’ANRU. C’est un texte ambitieux qui a permis de remettre les quartiers défavorisés au cœur de l’action des maires. Les moyens conséquents mis en œuvre à travers le PNRU et le NPNRU ainsi que leur approche pluriannuelle, multiacteurs et déconcentrée ont impulsé une dynamique inédite dans la lutte contre le mal-logement, même si je pense qu’il aurait été nécessaire de coupler davantage action urbaine et politique sociale…
Presque soixante-dix ans après l’appel de l’Abbé Pierre, des progrès indéniables ont été enregistrés, sur le plan des équipements de base par exemple, ou en ce qui concerne la surface moyenne par occupant. Mais pour autant, chaque année, le rapport émis par la Fondation Abbé Pierre rappelle avec force que le combat est loin d’être gagné… Dans un contexte marqué par les crises successives et une inflation qui s’établit à des niveaux inconnus depuis plus de trente ans, les réponses publiques demeurent dramatiquement en deçà des besoins de nos concitoyens
, alerte Christophe Robert en conclusion.